À pleins poumons
Exposition collective
2023
Souffle salvateur
Il y a des expositions auxquelles on réfléchit depuis si longtemps qu’elles donnent le vertige avant même qu’elles ne soient engagées... Alors, comment aborder cette question du souffle avec la juste distance, en sachant dès le départ qu’elle ne sera qu’un prétexte pour dévoiler tant d’autres choses, qu’elle sera pour nous comme un saut dans le vide qui viendra se heurter à nos propres vulnérabilités. Une exploration aussi bien spirituelle que scientifique où le voyage n’est jamais sans conséquence. Tout comme la respiration, cette exposition a été imaginée comme un voyage intérieur et sensible : elle traverse notre corps pour s’infiltrer petit à petit dans la peau, la chair jusqu’à atteindre notre esprit et frapper en plein cœur. Un souffle au cœur. Comme la présence d’un symptôme silencieux, pernicieux mais dont il est possible de guérir, de cicatriser. Le souffle au cœur serait-il finalement salvateur ?
Les douze artistes de l’exposition À pleins poumons ont en commun de s’emparer magnifiquement de cette question du souffle lié à un environnement. On déambule ainsi parmi les paysages énigmatiques de Nicolas Dhervillers, qui semblent se dissiper progressivement dans une brume fantomatique. On poursuit avec le travail de Jean-Baptiste Caron, qui nous met à l’épreuve de notre propre respiration à travers l’activation d’une grande installation murale composée de miroirs. Notre reflet se révèle ici sous un autre jour : le souffle prend le pouvoir sur l’apparence et dévoile l’invisible, comme si nos émotions cachées, nos sentiments enfouis apparaissaient aux yeux de tous. Les vidéos des artistes Jonathas de Andrade et Miguel Arzabe questionnent quant à elles cette notion de cycles et de mouvements et évoquent la fragilité de ces états transitoires, qui renvoient à la nature précaire de notre existence. On retrouve cela dans le travail de sculpture de l’artiste Julie Legrand qui nous propose un souffle enfermé, empêché, qui semble bientôt chuter au sol.
En écho à cette question de la vie et de la mort, les sculptures d’Elise Grenois sont travaillées avec de véritables corps d’animaux : leurs carcasses fusionnent avec le cristal, génèrent des cendres pour leur permettre d’accéder à une nouvelle enveloppe corporelle et symbolique. Les photographies des artistes Arguiñe Escadón et Yann Gross évoquent, quant à elles, ce lien physique et mystique que nous entretenons avec notre environnement avec des images issues de la série Aya qui, en langue quichua, signifie : fantôme, âme ou esprit. En explorateurs contemporains, le duo d’artistes nous plonge au cœur de populations vivant dans cette forêt amazonienne souvent considérée comme le poumon du monde.
L’oeuvre d’Aurélie Pétrel nous invite à franchir des passages entre intérieurs et extérieurs, à travers une fiction-labyrinthique créée à partir d’images d’archives et de jeux d’assemblages, où l’on déambule parmi les souvenirs de voyage de l’artiste. Ce lien au paysage et à la mémoire se poursuit avec le travail de Deborah Fischer par la collecte d’objets inanimés qui reprennent corps grâce à un nouveau souffle de vie : le verre épouse les formes de ces objets collectés pour proposer un nouveau récit de l’ordre de l’intime.
Vahan Soghomonian propose quant à lui une expérience sonore, poétique et spirituelle qui prend forme dans une installation en constante évolution pendant toute la durée de l’exposition. Enfin, le film documentaire d’Hovig Hagopian, nous plonge dans la découverte d’une mine de sel située en Arménie qui parallèlement à ses activités ouvrières, accueille une clinique pour asthmatique située à 230 mètres sous terre où des hommes et des femmes marchent pour mieux respirer...
Autant de propositions sensibles comme des présences au monde, entre apparences et dissimulations, où le souffle disparaît, se transforme pour mieux se régénérer...
Fanny Robin,
Directrice artistique de la Fondation Bullukian