Incandescences
Guénaëlle de Carbonnières
2025
« Glacier de l’apocalypse », « incendies incontrôlables qui ravagent la Californie », ou encore, « la dérive menaçante du plus gros iceberg du monde »… On se croirait tout droit sorti d’un récit d’anticipation à la lecture de ces articles de presse. Pourtant, il s’agit bien là de notre actualité, brûlante, et de la triste destinée réservée à nos glaciers, forêts et océans, qui subissent depuis plusieurs années les conséquences de bouleversements climatiques sans précédent.
Directement inspirée par ces catastrophes récentes tout autant que par le mythe ancien de l’Atlantide, cité paradisiaque engloutie par les eaux, la série de photographies de l’artiste Guénaëlle de Carbonnières se compose d’espaces intermédiaires aux multiples matérialités et temporalités, où s’enchevêtrent cartes de prévisions océanographiques et représentations de fossiles marins.
Contrairement à certains travaux antérieurs de l’artiste, cette série intitulée Incandescences, ne s’est pas amorcée dans l’espace soigné, calme et hermétique de l’atelier. Bien au contraire. Par l’utilisation de la technique du lumen print, procédé ancien qui consiste à faire apparaitre des couleurs sur du papier photosensible en l’exposant à la lumière naturelle, l’artiste fait subir à son papier photographique les mêmes turbulences qu’éprouvent actuellement nos paysages, territoires et zones côtières. Laissé en extérieur au gré des vents et parfois même des tempêtes, parsemé de végétaux soigneusement sélectionnés par l’artiste puis rejoints par des poussières déposées ici et là par accident, le papier photographique conserve ainsi l’empreinte embrumée et embrasée des variations climatiques. Tour à tour gorgés par les pluies, imprégnés de l’humidité puis soumis à de fortes chaleurs qui l’ont tanné comme une peau brunie sous l'effet d’un soleil ravageur, les tirages sont marqués d’une lumière étrange, insolée, saturée sur certaines zones qui semblent toujours stagnantes comme des images non révélées.
Mais alors, quel monde nous donne à voir Guénaëlle de Carbonnières ?
“Des villes englouties, des monuments de toutes sortes, des trésors perdus et des épaves, voilà ce que la mer dévore, et, sous sa surface, des secrets enfouis attendent toujours le jour où l’on saura les découvrir.”
Jules Verne, Vingt Mille Lieues sous les mers (1869-1870)
Après avoir laissé la nature opérer et déferler sur le tirage, l’artiste intervient ensuite progressivement sur l’image à travers une succession de manipulations d’une rare complexité technique. Gravures, découpes de trajectoires au laser, réhausses aux pigments,… Guénaëlle de Carbonnières creuse la matière, la consume pour faire disparaitre à petit feu les contours définis de certaines frontières d’où surgissent une toute autre forme de lumière, encore plus corrosive et incandescente.
Pourtant, même s’ils suggèrent souvent une catastrophe imminente, il y a toujours une délicate esthétique de l’effacement et cette forte picturalité qui se dégagent des tirages de l’artiste. Des paysages photographiques comme des tableaux, qui évoluent dans l’ambiguïté d’un flou, au rythme de notre monde en perpétuelle mutation.
Fanny Robin
Critique d’art et commissaire d’exposition