Elles, question de genre?
Musée municipal Paul-Dini •
Villefranche sur Saône
Exposition Collective
23.03.2019 ➝ 22.09.2019
En 2006, le musée s’était penché sur Les femmes peintres et l’avant-garde, 1900-1930 avec les œuvres de Suzanne Valadon, Jacqueline Marval, Émilie Charmy et Georgette Agutte 1. Il s’agissait de s’interroger sur la place de celles-ci au sein des milieux artistiques de l’avant-garde. L’expérience des femmes et leur position dans la société, y compris en tant qu’artistes, diffèrent de celles des hommes car il faut attendre 1897 pour que ces dernières soient autorisées à suivre les cours d’arts plastiques à l’École des beaux-arts de Paris ; par conséquent il leur était difficile de trouver une place dans l’histoire de l’art. Longtemps cantonnées au statut de mineures, les femmes s’imposent progressivement dans les champs sociaux et artistiques. En 1936, la peintre Madeleine Bunoust (1885-1974) écrit « Le féminisme (mot qui ne devrait pas exister au XXe siècle) ne revendique aucune prérogative arbitraire, aucune prédominance usurpée, aucun empire de complaisance. Il ne tyrannise pas, il émancipe. Il ne demande à son profit qu’un régime d’égalité, de libre concurrence dans le développement et le travail, laissant aux aptitudes et aux forces le soin de régler le choix... » 2.
La question des femmes artistes a été traitée par les historiennes de l’art anglo-saxonnes à partir des années 1970-1980 (Linda Nochlin, Gill Perry, Griselda Pollock...). En 1971, Linda Nochlin (1931-2017) posait la question « Pourquoi n’y a-t-il pas eu de grands artistes femmes ? » 3. L’intense activité féministe a rayonné sur les disciplines de sciences humaines et innervé les domaines de recherches en sociologie, littérature et histoire de l’art. Dans les années 1970, l’activisme féministe développa parfois une vision crue et intime du corps féminin, tant en littérature que dans les arts visuels en suivant pour certaines l’allégation « notre corps nous appartient ».
Au-delà du genre masculin-féminin, l’exposition Elles, question de genre ? confronte des sensibilités qui nous amènent à nous interroger sur les différences sexuelles depuis les années 1980. Le genre recouvre la catégorie exprimant parfois l’appartenance au sexe masculin ou au sexe féminin. En français, la catégorie de certains mots (noms, adjectifs) est soit le masculin soit le féminin. Nous pouvons aussi interroger la question de la différence des sexes prise dans un système d’images et de métaphores ayant trait à la fécondation, l’enfance...
Ainsi comment la polarité féminin/masculin s’opère-t-elle ? En 1995, dans l’exposition Féminin-Masculin. Le sexe de l’art 4, Bernard Marcadé et Marie-Laure Bernadac, commissaires de l’exposition, souhaitaient distinguer le caractère sexué du caractère plus anglo-saxon du « genre » (gender en anglais). Au-delà de la question d’un art des femmes, ils interrogeaient les rapports complexes du masculin et du féminin. Les réévaluations récentes de l’histoire moderne mettent en valeur la figure féminine qui en avait été oubliée, ainsi que la présence croissante des artistes femmes dans l’art contemporain et justifient de les confronter dans leur sensibilité. En 2009, le même Musée national d’Art moderne proposait l’exposition elles@centrepompidou 5 en s’intéressant aux mouvements féministes et à leur incidence sur la création artis- tique depuis les années 1970.
L’exposition de Villefranche présente la diversité des points de vue esthétiques et techniques de dix artistes femmes au-delà de la féminisation de l’art ou d’un art féminin. L’émotion contrôlée ou expansive s’exprime à travers le regard « documentaire » de Claire Chevrier, les bestiaires lovés dans les plis des dessins d’Isabelle Jarousse, la mise en scène familiale, chez Delphine Balley, ou revisitée avec Véronique Ellena. Chez Isabelle Thé, la frontalité sereine des visages fait surgir des ombres de manière monumentale. Chez Florence Reymond et Marie-Anita Gaube, les corps fusionnent avec la nature. Les séries picturales inspirées de l’image médiatique de Carole Benzaken se confrontent aux paysages de champs d’Hilary Dymond dans lesquels le spectateur plonge de plain-pied. L’univers de Marie Morel côtoie images et textes pour exalter la vie. Leurs œuvres abordent les questions suivantes : la femme artiste face aux références de l’histoire de l’art, les souvenirs familiaux, le plissé et le recouvrement, le vagabondage imaginaire, le corps libéré et la photographie entre poésie et « documentaire-fiction ».
Sylvie Carlier, directeur et conservateur en chef du musée
Fanny Robin, commissaire associée
1. Les femmes peintres et l’avant-garde, 1900-1930, édition Somogy et Villefranche-sur-Saône, musée Paul-Dini, 2006 (dir. Sylvie Carlier).
2. Madeleine Bunoust, Quelques femmes peintres, Stock, 1936.
3. Linda Nochlin, « Why Have There Been No Great Women Artists ? », Artnews magazine, 1971. Voir Linda Nochlin, Femmes, art et pouvoir, et autres essais, Nîmes,
1993, p. 201-245. Linda Nochlin, Anne Lafont et Todd Porterfield, « Entretien avec Linda Nochlin », Perspective, n° 1, 2015, p. 63-76.
4. Paris, Musée national d’Art moderne, 26 oct. 1995-12 fév. 1996.
5. Camille Morineau (dir.), elles@centrepompidou : artistes femmes dans la collection du Musée national d’Art moderne, Centre de création industrielle, Paris,
27 mai 2009-24 mai 2010, Centre Pompidou, Paris, 2009, 381 p.