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Hors saison

Campagne Première • Revonnas

Gravure sur monument aux morts

Nicolas Daubanes

02.07 ➝ 03.07.2022

« Est-ce que vous m’autorisez à graver sur le monument aux morts de votre village ? ». La cour d’école est bondée, pourtant, elle n’a jamais été aussi silencieuse qu’à cet instant précis. On entend même un papillon voler. Plus un bruit, seulement des regards attentifs et sérieux tournés vers celui qui se risque à poser cette question pour le moins inattendue. Le moment est à la fois joyeux et grave, solennel. Ils ont entre 5 et 11 ans, pourtant, c’est bien à ces petits écoliers que revient la lourde décision : leur responsabilité est maintenant engagée, impossible de reculer.

 

Tout a commencé quelques mois plus tôt, au printemps, lors de la première visite de Revonnas par l’artiste. On présente à Nicolas Daubanes les plus jolies places de la commune, les maisons de caractère, les points de vue épatants : il faut bien mettre en valeur les atouts du village pour le convaincre de participer à Campagne Première. Mais l’artiste n’est pas dans la contemplation, il demande à LE voir. Lui, c’est le monument aux morts du village, qui fait discrètement face à la mairie. Il est placé en plein cœur de la commune, pourtant et malgré sa stature verticale et imposante, il semble campé entre deux routes, contre un talus : on pourrait passer à côté de lui sans vraiment le remarquer.

 

Cette lourde masse de pierre ressemble de près ou de loin à tous les autres monuments qui se dressent dans les autres villages de France. Les noms des soldats de la guerre de 14-18 y sont gravés avec cette épigraphe au centre : La commune de Revonnas à ses morts glorieux, qui permet de commémorer, en des termes triomphants, la mémoire des soldats qui ont perdu la vie au combat. Pourtant, le monument semble renfermé dans sa solitude. En s’approchant de plus près, on découvre alors tous ses stigmates : la pierre se délite et laisse apparaitre de larges fissures comme des cicatrices, l’éclat de sa roche calcaire légèrement ambrée s’est dissipé. Décati, engourdi, le géant de pierre a perdu de sa superbe : il n’est plus aussi illustre qu’autrefois.

 

C’est en échangeant avec le maire que Nicolas apprend que ce monument national, qui appartient à la municipalité, est actuellement situé sur une parcelle de terrain privé. La situation est inédite. Fragile et vulnérable, cet édifice est à l’image de la situation dans laquelle se trouve la transmission de la mémoire aujourd’hui : complexe et sensible. Pour Nicolas Daubanes, cette rencontre sera décisive car elle tient de l’évidence, lui dont le travail ne cesse de réactiver des lieux mémoriels, de révéler des injustices commises dans le passé et de dévoiler des pages occultées de l’histoire.

 

Retour dans la cour d’école. Le papillon s’est envolé et un Oui collectif a été prononcé. Les écoliers souscrivent à l’idée de l’artiste qui a pris soin de leur expliquer les fondements de ce projet et en quoi leur rôle est essentiel : « Vous êtes les personnes les plus importantes aujourd’hui, car si de tels objets existent dans les villages, c’est pour vous. Ce n’est pas pour les morts, c’est pour les vivants ».

 

Nicolas Daubanes, connu pour ses installations murales éphémères, prend ici la décision d’intervenir directement sur le monument aux morts en réalisant une gravure qui restera inscrite de manière définitive et pérenne. Par cette action, l’artiste signe un manifeste pour la paix et la vie. « Je souhaite remplir les espaces encore disponibles pour ne plus y inscrire de noms de morts pour la guerre, mais pour y graver la vie ». Le geste est symbolique et historique, une première dans le travail de l’artiste. Dorénavant, la mémoire s’écrit au présent.

 

Agenouillé sur le socle, le dos resserré, les mains en tension, l’artiste s’engage dans un corps à corps physique avec le monument. Nicolas Daubanes taille, incise la pierre avec des gestes économes et précis. Un motif végétal, qui semble vouloir ouvrir sur un jardin plus vaste, trouve alors refuge sur l’édifice. La plante parait en mouvement et offre une courbe serpentine qui ondule comme une couleuvre au soleil. La gravure qui s’enracine progressivement dans la pierre est saisissante d’ambiguïté : tout en creusant, elle comble un vide. Elle enserre le monument non pas pour le fragiliser mais pour l’enlacer avec délicatesse. L’écriture est délicate, subtile, discrète ; pourtant, elle réactive à elle seule la présence du monument et des noms de soldats qui y sont inscrits. À la manière d’un émailleur, l’artiste appose alors la peinture au pinceau, par petites touches, dans chacune de ses entailles : la lumière se répand désormais sur cette petite plante aux mille reflets.

 

Le monument ne saigne plus, il est debout et son silence a laissé place aux rires et aux récits des enfants qui viennent souvent lui rendre visite : ils sont maintenant les gardiens de cette histoire. Certains s’amusent même à arroser la gravure afin qu’elle ne fane jamais. L’œuvre de Nicolas Daubanes a trouvé sa place et l’artiste a réussi son pari : les souvenirs se partagent, les mémoires se prolongent et la vie a bel et bien rejailli.

Fanny Robin

Commissaire de l'exposition

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